Qui a peur d'internet ?
Patrice Flichy (Le sacre de l'amateur) et Dominique Cardon (La démocratie Internet : Promesses et limites) répondent aux questions de Julie Clarini (Le grain à moudre du 16/12/2010) et de François Armanet (Le Nouvel Obs).
http://www.laviedesidees.fr/_Flichy-Patrice_.html
http://www.laviedesidees.fr/Internet-nouvel-espace.html
http://cems.ehess.fr/document.php?id=155
Le texte est paru dans le Nouvel Observateur, mais ne semble pas encore en ligne.
L'émission est à archiver au format mp3
Un des intérêts de cet entretien à 4 voix, c'est le jeu de rôle, avec des questions à sens unique imaginées par les animateurs et une analyse très nuancée faite par les deux experts.
Les questions, en substance :
La transparence absolue n'est-elle pas un danger pour la démocratie ?
Les hackers ne vont-ils pas remplacer les journalistes et les experts ?
Internet ne suscite-t-il pas de failles qui mettent en péril la démocratie ?
Avec internet, n'y a-t-il pas pour la vie privée un risque de Big Brother ?
Ne surestimez-vous pas la capacité d'auto-régulation d'internet ?
La fragmentation de l'espace public en innombrables agoras n'est-elle pas une menace pour la démocratie ?
Entendu dans l'émission :
Wikileaks ?
Pourquoi avoir peur de la circulation d'une information publique (la diplomatie ?)
Pourquoi en faire un risque plutôt qu'une opportunité ?
Crier à la transparence absolue, c'est monter trop vite en généralité.
La démocratie repose sur le contrôle, la demande d'informations est une sorte de contre-feu face aux excès de la communication entre les mains du pouvoir. On est dans la foulée du journalisme d'investigation, où des sources privilégiées pouvaient marquer leur distance par rapport à une politique suivie.
PF cite l'exemple des papiers du Pentagone en 1971, au temps de la photocopie.
Des menaces sur la vie privée ?
Big Brother, ce sont les Etats (la Stasi) ou les entreprises. Les dangers sont connus, et le droit peut être mobilisé.
DC : Les individus choisissent de s'exposer, ils ne sont pas aussi naïfs. Sur Facebook, ils savent distinguer le mur et les infos protégées (sauf du propriétaire). Jongler entre la parade et la dissimulation, c'est un nouveau jeu dans les pratiques sociales...
Utiliser la vie privée comme arme stratégique, les politiques n'ont pas attendu internet pour le faire. Ils ont commencé avec la TV et la Téléréalité.
Les sites extrémistes ?
PF ne veut pas exagérer leur audience.
Il préfère la solution américaine (liberté et contradiction portée par les autres citoyens) à la solution française (une loi pour chaque dérive possible)
L'autorégulation ?
DC : L'idée de l'autorégulation est au coeur d'internet, elle fait un pari : dès qu'on donne à la société civile des pouvoirs d'expression et de coordination autonome, on a l'impression qu'entre l'Etat et le marché, il n'y a pas d'espace. Or ce qui est en train de s'inventer - et c'est très présent dans la culture des amateurs - c'est l'idée d'un troisième modèle. Il y a une société civile qui s'auto-organise, qui produit des biens communs. Il y a des formes d'association dans lesquels on n'est pas obligé, pour remplir des services pour le public ou des services communs (Wikipedia ou le logiciel libre), de passer par le marché ou l'Etat. Cette auto-organisation est encore très fragile et imparfaite, mais elle monte en puissance.
Dans cet espace, le filtrage des informations n'est pas fait à priori par des journalistes de métier (qui jouent le rôle de gatekeepers), mais à postériori par les internautes. Donc internet n'est pas cette vaste poubelle si souvent dénoncée. Bien sûr un journaliste pourra lancer une rumeur et lui donner crédit. Mais ce que font les internautes (et aussi le Page Rank de Google), c'est de voter. Collectivement, les internautes produisent une crédibilité commune, et ils sont généralement très vigilants quant à l'intérêt et à la véracité de l'information.
Une fragmentation de l'espace public ?
P Flichy - dans le débat public, il y a toujours une multitude d'agoras. Les premiers lieux où l'on parle de politique sont les lieux privés, la famille, les amis, à table...
L'éclatement de l'espace public via internet a au contraire qq chose d'extrêmement positif. S'il n'y avait qu'un seul espace, le débat serait limité aux grands messes électorales des présidentielles, au face à face de deux candidats. L'espace politique est une multitude de lieux qui s'ancrent dans la vie locale...