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Clioweb, le blog
14 mars 2012

Geo 1 : chance ou occasion manquée ?



Le nouveau programme de géographie de première : une chance pour la géographie ?
Patrick Blancodini, Aggiornamento, 03.02.2012
http://aggiornamento.hypotheses.org/748

« Car en réalité, ce programme est une chance »
écrit l'auteur d'un texte mis en ligne avant les vacances d'hiver sur le site Aggiornamento.
Une chance ou une occasion manquée ?

Une chance ?
Lisons les intertitres :
« Des contraintes matérielles indépassables en l’état actuel ».
« La faiblesse consternante des manuels »
« Compter sur l’intelligence des professeurs pour sauver la logique géographique »
« Ce que la géographie n’est pas… »

Les lecteurs des quotidiens savent que les titreurs donnent souvent l'impression de ne pas avoir lu le coeur d'un article. Une suggestion : surlignez et distinguez ce qui est éloge du programme et ce qui est critique vigoureuse.

L'inventaire des défauts du programme l'emporte largement :
« manque de temps », « course effrénée »,
« pas de dédoublement, ce qui rend tout travail sérieux impossible »,
« hiatus entre programmes et supports didactiques »,
« changement artificiel d’échelle »,
« faiblesse du questionnement épistémologique »,
« les débats n’apparaissent pas » …

La conclusion ? « Ainsi donc, les enseignants ne doivent pas perdre de vue que la géographie est une science sociale qui doit exercer un regard critique sur les acteurs du territoire … C’est ainsi que les enseignants pourront sauver la géographie enseignée au lycée ».


Arrêtons-nous sur quelques arguments :
. Le manque de temps ? Pas de dédoublement ?
Qui a décidé, par simple souci d'économie, de faire la chasse aux travaux de groupe, et de supprimer les modules dont disposaient les profs d'HG jusqu'en 2010 ? Avec quels soutiens complices ?

. « Un programme excellent » ? En quoi des programmes qui escamotent, pour la majorité des lycéens de S, l'étude de l'espace mondial peut-il être jugé excellent ?

. « Une approche renouvelée » ?
« La région, espace vécu », l'ouvrage de Frémont est paru en … 1976 !
En primaire, l'espace vécu, fréquenté, perçu et représenté par les élèves était déjà au cœur des activités d'éveil au milieu des années 1970.

« Le programme laisse en définitive beaucoup de liberté … »
Sur Aggiornamento, le site et le forum, les réactions des profs suggèrent que cette liberté est bien restreinte et contrainte, certains choix pédagogiques étant vilipendés par une partie de la hiérarchie. Beaucoup de liberté ? Même dans ce point de vue, l’auteur parle de malaise, de désarroi, de doute, de rejet pur et simple...

«  En somme, ce programme présente un avantage principal :
il permet … de réfléchir à ce qu'est la géographie …n'est pas
».
« la géographie n’est pas la science de l’aménagement du territoire »
« la géographie n’est pas le lieu des bonnes intentions »
« la géographie ne doit pas servir de vecteur aux idéologies »
« la géographie n’est pas la science de la communication officielle »

Si la démarche vers « une géographie plus solide scientifiquement et plus intéressante pour les élèves » se résume à la réduire à l'avers d'un texte officiel, voilà une bien curieuse rhétorique. Une première étape, avant de passer par dessus bord la géo scolaire, que certains qualifient parfois de « fardeau » ?
La géo « plus en phase avec la recherche » et « plus intéressante pour les élèves », vers 1975, c’était le règne de la géomorphologie. Aujourd’hui, ce pourrait être la Géohistoire, une démarche qui ne devrait pas effrayer des profs d’histoire.


Un dernier élément : l'auteur vilipende « La faiblesse consternante des manuels  … [dont les auteurs] trahissent non seulement l'esprit du programme …mais aussi, et c'est plus grave, la géographie elle-même ».
Les manuels et leurs auteurs ? Ils sont une cible commode (nous y reviendrons).
Qui les conçoit et les rédige ?
En fonction de quelle commande ?
En vue de quel public (les lycéens ? les professeurs ? les parents ? les étudiants ?)


Ce texte mériterait d’être complété en tenant compte de deux grands absents :
- Les lycéens, leur lecture du monde actuel, leur rapport à la culture scolaire.
- Les concepteurs des actuels programmes.
Ce programme chatel aurait pu échapper à l'urgence et aux flux tendus : entre mars 2010 et septembre 2011, le temps n'a manqué ni aux concepteurs, ni aux auteurs et ou aux professeurs. Les études ne manquaient pas sur la géographie scolaire, aussi bien sur sa place dans une formation intellectuelle que sur la didactique.
Ce programme n'est-il pas plutôt l'illustration d'une force d'inertie ? Depuis un siècle, la Géo de la France est étudiée en classe de première. Rompre avec la tradition était possible (le projet mort-né de 2000 l’avait tenté, sur un modèle essayé au collège, en 4e-3e). Le choix de laisser la mondialisation en Terminale est sans doute un calcul tactique, de façon à mieux vendre l'option annoncée en HG. L ’ennui, c’est que cette option risque de ne pas résister à la politique d’austérité. Par contre, les dégâts collatéraux de la casse de l'HG pour tous en Term S risquent eux d’être durables.

Un détour par la géographie scolaire au Royaume-Uni serait possible et souhaitable. Il aiderait sans doute à repérer de réelles opportunités que le consentement à une logique de brutalisation à court terme a fait manquer.
A suivre : les manuels 2011.


.

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Commentaires
S
Je me suis fait la même réflexion en lisant l'article de Patrick Blancodini : déplacer la critique des programmes vers celle des manuels ne permet pas de saisir les enjeux de la crise actuelle de la géographie enseignée. Les enseignants accusent les éditeurs de manuels qui accusent à leur tour les programmes scolaires. Parfois ce sont les programmes qui mettent en lumière les pratiques ritualisées des enseignants qui se réfugient alors derrière les activités classiques du manuel. On tourne en rond. Tout cela semble surtout traduire un effritement du système disciplinaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Il ne suffit pas d'opposer le curriculum réel au curriculum formel pour redonner de la légitimité à la discipline : les pratiques des enseignants n'ont pas en soi le pouvoir de détourner l'esprit du programme qui reste l'alpha et l'oméga de l'enseignement. Les pourfendeurs du programme de Première l'ont bien compris en s'attaquant à un programme ni meilleur ni pire que les autres : l'objectif était de mobiliser l'opinion publique mais pas vraiment de réfléchir aux finalités de l'histoire-géographie ni à l'école de demain qui reste à (re)construire.<br /> <br /> <br /> <br /> Il n'en demeure pas moins que le programme de géo Première marque un tournant assez net vers la géographie sociale. Il faudrait interroger les fondements épistémologiques de cette géographie des territoires. Lors d'une journée de l'APHG à Lyon, je me suis livré à un petit exercice dans ce sens : comment construire / déconstruire la notion de "territoires du quotidien" déclinés dans les programmes et dans les manuels sous des formes diverses et variées (une occasion aussi de faire des TICE pour sortir de la logique des manuels). Cela a abouti à un schéma pour essayer d'aller un peu plus loin dans la compréhension du "système territorial", mais cela m'a pris beaucoup de temps et pas mal de lectures de Di Méo à Retaillé en passant par Lefebvre et de Certeau : http://didageo.blogspot.com/2011/12/tice-et-programme-de-geo-premiere.html<br /> <br /> <br /> <br /> Evidemment si les enseignants devaient se livrer à ce type de mise au point épistémologique pour chacun des nouveaux thèmes du programme, nul doute qu'ils y passeraient du temps ! Comment ne pas partager leur réprobation face à un programme si ambitieux. Il n'est pas facile de comprendre la façon dont "l'espace vécu" de Frémont a fini au bout de 30 ans par être intégré dans les programmes... mais pour être naturalisé sous la forme de "territoire de vie" ou de "territoire de proximité". C'est à une véritable épistémologie des savoirs scolaires qu'il faudrait aujourd'hui travailler. La fabrique des savoirs scolaires est complexe, elle procède de nombreuses hybridations de sorte qu'il n'est pas toujours simple de comprendre comment s'opèrent les transpositions de la géographie savante à la géographie scolaire. Ce n'est pas avec les quelques rudiments d'épistémologie que l'on trouve dans l'épreuve orale sur dossier au CAPES que les futurs enseignants seront armés pour répondre à ces défis... même si c'est déjà un effort dans ce sens.
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