M-A : Ecrit, pouvoirs et société
Agrégation externe - Histoire - 2020
Histoire médiévale
Écrit, pouvoirs et société en Occident du début du XIIe à la fin du XIVe siècle (Angleterre, France, Péninsule italienne, Péninsule ibérique)
http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/agreg_externe/76/8/p2020_agreg_ext_histoire_1112768.pdf
« Le programme d’histoire médiévale invite à s’interroger sur la place qu’occupe l’écrit dans ses rapports avec les pouvoirs et la société en Europe, en prenant en considération le moment où la production écrite connaît un essor considérable.
La « révolution de l’écrit » s’affirme ainsi nettement en Occident à partir du début du XIIe siècle pour s’épanouir aux XIIIe et XIVe siècles à travers une diversification qualitative et quantitative
dans la production tant de livres manuscrits que d’actes de la pratique.
La question implique donc de suivre toutes les étapes de la vie des documents écrits, en prenant pour point de départ l’auteur ou l’autorité qui leur donne vie. On sera ensuite attentif aux différentes formes de transmission de la documentation écrite (brouillons, mises au net, copies…), aux langues utilisées, aux supports employés et aux lieux de sa rédaction, de sa consultation et de sa conservation, qu’ils soient ou non organisés (chancelleries et scriptoria notamment).
Le sujet entend mettre l’accent sur la forme matérielle de la production et de la réception de l’écrit mais il implique également une approche d’histoire culturelle et sociale qui en étudie les fonctions
et les usages.
C’est pourquoi cette étude est articulée à une histoire des pouvoirs à l’échelle de l’Angleterre, de la France, ainsi que des péninsules italienne et ibérique (royaumes chrétiens), autant d’espaces caractérisés par un même recours de plus en plus intense au gouvernement par l’écrit, par un essor comparable des littératures en langue vernaculaire, souvent encouragé par les pouvoirs, par un même développement de l’institution universitaire qui fournit de plus en plus de cadres administratifs au pouvoir. La dynamique des rapports entre l’écrit et les pouvoirs est donc au cœur du sujet puisqu’il s’agit de comprendre à la fois comment l’écrit acquiert un pouvoir qui lui confère une efficacité particulière et comment les différents pouvoirs utilisent les formes écrites pour gouverner, organiser, contrôler la vie politique, sociale, économique et intellectuelle.
Par « pouvoirs », on entend les trois grandes formes d’organisation au sein desquelles
la production écrite progresse de manière remarquable durant les trois siècles considérés.
Le pouvoir religieux, ou Sacerdotium, est incarné par la papauté qui, de la « réforme grégorienne » jusqu’à la fin du séjour des papes à Avignon, développe un rapport particulier à l’écrit, qu’il s’agisse de la production de libelles soutenant les ambitions théocratiques du pape, de la construction et de l’essor de la bibliothèque ou de la chancellerie pontificales, cette dernière inspirant aux monarchies et aux principautés d’Occident un modèle de gouvernement, de rédaction et de conservation des actes. Il faut noter que les niveaux ecclésiastiques inférieurs sont pleinement envisagés, notamment en tant que relais de l’influence pontificale.
Le Regnum est ici représenté par les grandes monarchies anglaise, française, ibériques et italiennes (royaumes d’Italie et de Sicile) et par les différents systèmes politiques dont l’Italie du Nord et du Centre est le cadre : les unes comme les autres connaissent un développement administratif notable
du XIIe au XIVe siècle, fondé sur une maîtrise croissante de la communication écrite et un recours intensif à diverses pratiques de l’écrit, telles que les ordonnances et les autres formes de chartes, les enregistrements, les enquêtes, les comptabilités, les instruments notariés, etc. À la fin de la période envisagée, pour Charles V (1364-1380) en France comme pour Richard II (1377-1399) en Angleterre, pour Henri II de Trastamare (1369-1379) en Castille comme pour Ferdinand Ier (1367-1383) au Portugal, pour les communes et seigneurs italiens, gouverner c’est de plus en plus recourir à l’écrit.
Enfin, parallèlement à l’avènement des monarchies administratives et des communes italiennes,
il convient de faire une place de choix à l’émergence d’un troisième pouvoir : le Studium. En effet,
la transformation des écoles du XIIe siècle en universités, sous l’égide de l’empereur, de la papauté
ou du roi, fait du Studium un pouvoir qui entretient un rapport particulier à l’écrit (lecture et commentaire des textes faisant autorité, mise en circulation des traductions, intensification de la copie des livres, notamment par le système de la pecia, fabrication d’instruments de travail permettant de mieux utiliser les textes, organisation de bibliothèques, par exemple). On sera notamment attentif à la manière dont la fixation par écrit de certaines pratiques scolaires (lectures, disputes, prédication, etc.) permet de documenter le rapport de l’institution universitaire aux pouvoirs et à la société avec lesquels elle interagit.
La dimension sociale du sujet est essentielle puisqu’il s’agit de mettre en valeur la manière dont l’écrit se répand dans les diverses strates de la société. Depuis les cours, les institutions urbaines et les universités, toutes productrices d’écrits, l’écrit se diffuse grâce à de multiples intermédiaires (notaires, maîtres d’école, précepteurs, etc.). De ce fait, l’éducation à l’écrit, la pénétration accélérée du livre dans la société et la manière dont l’écrit touche également la partie non alphabétisée de la population constituent une dimension importante de la question, dès lors que les actions juridiques les plus courantes et l’accès à la culture s’accompagnent d’un recours croissant à l’écrit.
Le sujet implique donc de faire une place aux différentes compétences écrites selon le statut social et le sexe, des professionnels de l’écrit aux « semi-litterati », en tenant compte également de l’accession des langues vernaculaires au statut de langues écrites. De ce point de vue, les documents de la pratique dans leur diversité typologique (chartes, lettres, contrats, comptes, etc.), aussi bien que les sources littéraires permettent de suivre l’émergence progressive des langues vernaculaires dans différents lieux de pouvoir, entre cour et ville, selon une chronologie propre aux différents espaces linguistiques considérés. Si le sujet amène à rencontrer des représentants de l’humanisme, comme Pétrarque ou Boccace, le mouvement humaniste en tant que tel ne fera toutefois pas l’objet d’une étude en propre.
Croisant les problématiques développées par les grandes écoles historiographiques européennes, de la Literacy anglo-saxonne à la Schriftlichkeit allemande, le programme s’appuie sur une bibliographie accessible et abondante que les historiens français ont considérablement renouvelée durant les quinze dernières années. Ainsi formulé, il entend contribuer à la formation des futurs enseignants en favorisant une réflexion critique sur les sources écrites à la disposition de l’historien. Il permet enfin d’approfondir connaissances et réflexion sur les circulations culturelles à la croisée de différents espaces politiques européens ».
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