L'internet, entre extase et effroi
- « Every year I look more and more like the guy on the right »
Christopher Blattman cite un dessin de Asher Sarlin
http://chrisblattman.com/2015/10/16/happy-8th-blogiversary/
Curieuse caricature, avec un Internet sans machine et un travail universitaire réduit à l'usage d'une machine à écrire.
« Alcool, tabac, cannabis, héroïne, cocaïne… Leur usage comporte des risques pour votre santé... Tout comme les jeux-vidéo peuvent impacter votre vie sociale ». http://www.paris.fr/reduction-des-risques
On peut y ajouter un grand nombre de réunions publiques animées par des policiers, des gendarmes ou des psychologues.
Une mention brève cite quelques avantages du web.
Mais 99 % de la réunion consiste à dénigrer les usages du numérique. L’Internet est placé au milieu des addictions qu'il faut fuir. La suite de l'intervention accumule des Une multitude d'incidents plus tragiques les uns que les autres sont énumérés. Il n'est pas compliqué d'imaginer l'effet de ce discours anxiogène sur des parents qui ont parfois des relations difficiles avec leurs adolescents. Des discours qui ont servi en 1920 aux USA (prohibition de l'alcool) et en France (interdiction de toute forme de contraception). Aujourd'hui, ce sont les discours de haine de toute forme de modernite qui entretiennent un climat de panique morale dont certains politiques sauront tirer profit.
Très tôt, un Manière de Voir a résumé l'attitude des médias devant le numérique :
ils balancent entre l’extase et l’effroi.
L’extase ?
Il leur faut d’abord relayer tous les discours de promotion tenus par les communicants et les commerciaux. Il faut vanter les mérites de la dernière technologie afin de légitimer la dépense de l’argent public. Avec un ordinateur, il n'y aurait plus d’échec scolaire, plus d’inégalités sociales. Ce type de discours ne passe plus, et les critiques ont été vigoureuses lors des dernières annonces de François Hollande (des tablettes pour tous).
L’effroi, c’est aussi le temps passé devant les écrans (on désole même que les jeunes regardent moins la TV que les anciens).
L'effroi, c’est le copier et coller de devoirs vendus par des entreprises du périscolaire.
L'effroi, c’est la violence de nombreux jeux.
Ce double regard a des tas de défauts.
- Il repose sur un fossé énorme entre les discours des journalistes et les pratiques des internautes (dont font partie les journalistes).
Le numérique est trop souvent perçu comme un support annexe. Le livre reste la référence obligée, pour être invité à la TV ou à la radio. Les magazines ont repris à l’envi les préjugés de Nicholas Carr sur la mort de la lecture dite longue ou lente. Sans imaginer un seul instant que le rythme des spots de pub, ou qu’une information émiettée au milieu de pleines pages de pub n’étaient pas les meilleurs moyens d’entretenir une attention soutenue.
- Il évite de questionner la responsabilité des patrons de chaînes de TV : la course à l'audience sert d'excuse pour toute dérive inadmissible.
- Les médias imposent une course à l’anecdotique, à l’instant et au « nouveau » alors que l’exceptionnelle capacité d’archivage du web devrait encourager un travail de fond dans la durée (cf. les revues diffusées par Persée).
- Il néglige le coeur de la pédagogie.
Que veut-on enseigner ? A quels élèves ? Avec quelles méthodes ?
A ce jour, en classe, les effectifs sont l'obstacle majeur à toute la généralisation du numérique.
Les usages réels de l’Internet sont d’une très grande variété, chaque internaute développant un usage spécifique en fonction de ses centres d’intérêt et de ses savoir-faire.
Le scolaire n’y occupe qu’une place restreinte : les pages web sont rarement conçues pour des lycéens ou des collégiens
Un cours ne serait-il qu’un récit et un texte mis en ligne, en version payante ou gratuite ?
Il faut aussi éviter les discours sur la masse et le volume dans l'histoire scolaire.
Avoir entrevu le nom de chacun des 1,4 M de soldats tués en 1914-1918 (ou des 9 M à l'échelle de l'Europe) n'a pas d'intérêt en soi.
Par contre, il y a beaucoup à apprendre à partir du sort de Théophile Maupas, du combat de sa veuve, d'extraits des Sentiers de la Gloire, des débats actuels à propos des fusillés de 1914-1918.
- Cette couverture médiatique laisse de côté des enjeux économiques majeurs.
Pourquoi le numérique a-t-il permis de bâtir des fortunes colossales, sans relation avec la qualité des services proposés ?
Pourquoi les multinationales du GAFAM et du NATU encouragent-elles des discours libertariens et une haine de tout ce qui est public ?
Le numérique ne peut-il avoir d’autre perspective que celle de la privatisation et de la précarisation ?
http://rue89.nouvelobs.com/2015/08/02/apres-les-gafa-les-nouveaux-maitres-monde-sont-les-natu-260551
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