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Clioweb, le blog
12 mars 2011

1881 - séductions du Moyen-Age

Ernest Lavisse, à propos de l'Ecole des Chartes :
«  Si l’on n’a pas l’esprit assez cultivé pour mettre cette époque à sa place dans l’histoire générale, on est exposé à tomber dans le préjugé en faveur du Moyen Age si répandu parmi les chartistes »


p 13-14 -
« Plus ancienne et déjà vénérable, l’Ecole des Chartes a sauvé l’étude de l’histoire de France. Les chartistes ont publié des documents d’une importance capitale. Quelques-uns les ont commentés en étudiant.  a ce propos. les plus difficiles questions de l’organisation sociale; d’autres ont écrit l’histoire de grands personnages et, par la même occasion, celle des mœurs et des coutumes à telle ou telle époque : d’autres enfin ont retrouvé les secrets de nos histoires provinciales.  Quand on voudra se mettre à étudier sérieusement notre histoire, il faudra se mettre a !’école des chartistes.

Mais j’exprimais le regret que les élèves des Hautes études et des Chartes reçussent une culture trop particulière. Il n’est pas bon d’enfermer un jeune homme, au sortir du collège, dans une partie de l’histoire, dans le Moyen Age surtout car l’étude de cette époque est pleine de séductions que le vulgaire n’y soupçonne point. Elle attire les esprits les plus divers : érudits qui aiment les problèmes difficiles, philosophes qui se plaisent à scruter la pensée humaine en un moment où elle est compliquée et confuse, artistes séduits par l’éclat de tant de couleurs et la variété de tant de lignes, politiques même qu’intéresse le spectacle d’une société produite par le chaos, et qui a fini par trouver ses règles et les mettre en codes. Mais cette étude si séduisante est pleine de dangers. Si l’on n’a pas l’esprit assez cultivé pour mettre cette époque à sa place dans l’histoire générale, on est exposé à tomber dans le préjugé en faveur du Moyen Age si répandu parmi les chartistes. On court risque aussi de se perdre dans des détails ou de se confiner dans des recoins: car les recoins sont nombreux, les détails infinis, et l’effet accoutumé d’un apprentissage où l’étude des moyens techniques d’investigation tient une large place, est d’ôter à l’esprit le sentiment des proportions. 

On arrive à grossir ce qui est petit, à estimer comme une découverte quelque nouveauté misérable, a tenir pour médiocre ce qui est connu, à laisser les grands chemins pour les sentiers, les sentiers pour les impasses et Charles Martel pour Childebrand. Il ne faut point manier pour le seul plaisir de les manier les instruments de la découverte historique. Si l’on a porté le microscope sur un grain de poussière, il faut l’y laisser le temps de constater que c’est bien un grain de poussière, pas une minute de plus.
 
Il y a donc de graves défauts dans ces écoles où se forment les professeurs d’histoire et les historiens. Ajoutez-y celui-ci, qu’elles ont très peu d’élèves. Chaque année, l’École normale donne quatre ou cinq professeurs, l’École des Chartes une quinzaine d’archivistes, l’École des Hautes études quatre ou cinq jeunes gens capables d’entreprendre des travaux d’érudition; et, parmi les professeurs, plusieurs se contenteront d’être des professeurs; parmi les archivistes, plusieurs se contenteront d’être des gardiens d’archives. Ces trois écoles réunies ne donnent pas assurément une demi-douzaine d’historiens par année. Comment s’étonner que l’obscurité dure sur tant de points de notre histoire nationale ? »

Ernest Lavisse, L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale, Leçon d’ouverture au cours d’histoire du moyen âge, à la Faculté des Lettres de Paris en décembre 1881 - Extrait de la Revue des Deux Mondes livraison du 15 février 1882 -
Version texte (à corriger) au format word : http://clioweb.free.fr/textes/gallica/lavisse-1881.doc

lavisse

Ernest Lavisse , source Académie française 
 

 

 

 

 

 

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