1881 - Grande leçon, petite leçon
En 1881, Ernest Lavisse décrit l’organisation d’une Ecole historique à la Sorbonne. Il oppose la grande leçon ouverte à tous les publics et la petite leçon (le séminaire ?) réservée aux seuls étudiants en histoire.
p 24
« L’enseignement public est toujours donné à tout venant dans les amphithéâtres, et la grande leçon n’est pas supprimée. Il faut qu’elle dure car elle rend service à tout le monde. Peut-être la présence des étudiants au cours public changera-t-elle par l’effet du bon exemple les habitudes et la tenue d’une partie du public ; car un professeur assis en sa chaire de Sorbonne voit des choses singulières pendant qu’il parle. Il ne peut se plaindre que l’on dorme dormir est le droit des personnes âgées qui écoutent; mais lire son journal, circuler comme si l’on était chez soi ; arriver a tout moment de la leçon, même à la fin, comme si l’on était un amateur spécial et un collectionneur de péroraisons; paraître sur les hauts degrés de l’amphithéâtre et rester ou partir, suivant que le visage du professeur plaît ou déplaît: amener un chien avec soi ; quitter sa place et gagner la porte, quand on flaire la fin, pour n’être point pressé à la sortie, comme on fait au théâtre cinq minutes avant la chute du rideau cela passe la permission, et il serait temps de protéger contre ces inconvenances le professeur et la partie sérieuse et permanente de l’auditoire. Mais les abus et ridicules ne prouvent rien contre le cours public. Il est une école intellectuelle largement ouverte, qui entretient dans la société française le goût des choses de l’esprit. II est utile, nécessaire même au professeur et à l’étudiant, car le professeur a dans le cours privé le sans-façon de l’intimité; il travaille avec ses élèves en tenue d’ouvrier. Le cours public l’oblige à se contraindre, a exposer, non ses recherches, mais le résultat de ses recherches, à éliminer le détail qui ne vaut que par la contribution apportée à l’ensemble; a montrer aux étudiants qu’après avoir, dans un long travail préparatoire, réuni des matériaux dont on a éprouvé la valeur, i! faut les disposer avec art et les dresser en édifice ».
p 23-24
« Ce n’était donc pas sans raison qu’on disait tout à l’heure que de grandes espérances sont permises. Cette jeunesse rajeunit la Sorbonne. Elle a pour domicile provisoire, rue Gerson, un baraquement en planches, où se trouve une salle de conférences pour l’histoire, une autre pour la grammaire et les lettres. Ce n’est plus la salle des cours publics, banale, avec ses bancs sans tables et sans dossiers, disposés en gradins et salis par les pieds du passant inconnu. C’est une vraie salle de cours, avec tables et encriers, tableaux et cartes sur les murs ».
« Jadis le professeur qui se rendait en Sorbonne pour faire ce qu’on appelait la petite leçon se demandait en chemin s’il ne trouverait pas la salle vide; car il n’avait point a compter avec le public de la grande leçon. écarte par l’heure matinale et par la nature même du sujet traité. Assis a sa place habituelle, il apercevait, dans un amphithéâtre qui peut contenir quelques centaines de personnes, de rares auditeurs appuyés aux murs et séparés par de longues rangées de bancs inoccupés. Il parlait sans regarder dans ce vide, la tête vers ses notes, vers son livre. vers sa montre, qui ne marquait pas assez vite la fin de ce monologue dans le désert ».
«Aujourd’hui, la présence d’étudiants que l’on connaît, qui parlent et à qui l’on parle, comme il convient entre personnes vivantes a changé cet ennui en un plaisir. Auprès des salles de conférences. les étudiants ont des salles d’études où sont réunis déjà les livres, documents, dictionnaires et atlas les plus nécessaires à leur travail. Ils y peuvent demeurer jusqu’au soir. C’est assez pour leur donner l’idée que la Faculté des lettres est leur domicile intellectuel. Enfin les professeurs ont un cabinet. Ceux qui connaissent le local accolé à l’amphithéâtre de la Faculté dans la Sorbonne, réduit misérable où le professeur s’arrête pour suspendre son pardessus à un mur blanchi, avant de se rendre à sa chaire par un corridor noir qui sert de bûcher, s’étonneront d’apprendre que le cabinet des baraquements a deux fenêtres, une cheminée, quatre fauteuils, autant de chaises, une pendule, une grande table, une bibliothèque. Cela donne au professeur aussi l’idée qu’il est chez lui. Il y vient, il y reste volontiers les étudiants frappent a sa porte pour se faire connaître de lui et recevoir ses conseils ».
Ernest Lavisse, L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale, Leçon d’ouverture au cours d’histoire du moyen âge, à la Faculté des Lettres de Paris en décembre 1881 - Extrait de la Revue des Deux Mondes livraison du 15 février 1882
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Ernest Lavisse , source Académie française