1980 - Le mythe de l'école de Ferry
Le mythe de l'école de Jules Ferry
L'école de Jules Ferry a cent ans.
Le père de l'école primaire laïque, obligatoire et gratuite,
en est-il réellement le héros ?
Les images d'Epinal commencent à jaunir.
Par Edwy Plenel Le Monde 15 sept 1980
extraits :
« Non, l'école républicaine n'a pas alphabétisé la France : grosso modo elle l'était déjà. Non, la République conquérante n'était pas un paradis pour les maîtres : ils connaissaient des fins de mois difficiles, étaient soumis à une hiérarchie tracassière, vivaient effacés et marginalisés au sein des communautés villageoises plutôt que radicalement engagés. Non, l'école primaire n'était pas un havre de liberté et d'égalité : école du peuple, les riches s'en passaient, elle n'ouvrait guère les portes de l'enseignement secondaire, et la discipline y était souvent sévère… »
« Pour s'acquérir les suffrages des dominés, l'idéologie laïque est rentable : en désignant à la vindicte le clergé, elle fait oublier l'État éducateur. Tour de passe-passe que résume joliment un journal militant d'alors : " Et faudra-t-il qu'on nous fasse à perpétuité manger du prêtre, pour nous ôter l'appétit de la liberté ", écrit, en 1882, l'Intransigeant »
« Mais, aussi pauvre et surveillé soit-il, le maître d'école est néanmoins rempli d'importance : parce qu'il incarne l'État, parce qu'il est l'État en actes aux cinq coins d'un Hexagone qu'il contribue à unifier. »
« Viennent ensuite les tranchées et les morts. La machine patriotique, dont l'école fut un rouage essentiel, fonctionne à merveille. 25 % des enseignants mobilisés en 14-18 périssent sur les champs de bataille.
« Camarades, faites votre examen de conscience : on vous a saturés de militarisme et, de la meilleure foi du monde, vous en avez saturé les jeunes générations ! » Gustave Hervé dans la Revue de l’enseignement primaire, avant d’incarner les excès du chauvinisme. »
« Le réveil sera douloureux. L'idylle du pouvoir et des maîtres ne sera plus jamais parfaite et unanime. Double symbole : en 1924, les syndicats de fonctionnaires sont reconnus, et Célestin Freinet, rescapé de la grande guerre, remet en cause le pouvoir sacro-saint du maître »
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Montalembert
Sous la Restauration, le monopole de l’éducation publique a fait ce qu’on appelait dans ce temps-là des libéraux et des révolutionnaires ; sous le régime de juillet, elle a fait des républicains et sous la République, elle fait des socialistes. (Approbations à droite. Bruit à gauche. ) [...]
On ne saurait le nier, la jeunesse est élevée contre la société et contre nous. L’éducation publique, telle qu’on la donne en France, fomente une foule innombrable d’ ambitions, de vanités et de cupidités, dont la pression écrase la société. Elle développe des besoins factices qu’il est impossible de satisfaire[...]
Enfin le résultat est celui que je viens de vous dire : c’est que chaque gouvernement élève des générations qui le renversent lorsqu’elles arrivent à maturité.
Et d’où vient cette infirmité cruelle de notre époque ?... Elle vient de ce qu’on tue, dans l’éducation publique, le sentiment du respect de l’autorité, de l’autorité de Dieu d’abord (Mouvement). Ce n’est pas volontairement, ici je n’accuse personne, mais voici le résultat : c’est que, dans l’éducation publique, on tue le respect de Dieu, le respect du père, c’est-à-dire de la famille, et enfin le respect du pouvoir ou de l'État. (C’est vrai! c’est vrai!) On apprend aux jeunes gens chez nous, on leur apprend le savoir et non pas le devoir; on leur apprend à émanciper, comme on vous l’a dit plus d’une fois, la raison ; mais savez-vous ce que l’on émancipe en même temps chez eux ? L’orgueil ! (Mouvements divers.) On tue l’humilité.
Eh bien ! nous venons proposer le remède à cet état de choses ; ce remède, c’est de faire rentrer la religion dans l’éducation par la liberté, comme je le disais tout à l’heure, de l’y faire rentrer, non pas pour tuer la raison (comme on le prétend sottement quand ce n’est pas calomnieusement !), non pas pour tuer la raison, mais pour la régler, pour la discipliner, pour l’éclairer et pour l’épurer. (Exclamations à gauche — Assentiment à droite.)
Maintenant, messieurs, où est aujourd’hui, pour justifier notre tentative, où est aujourd’hui la défense de l’ordre, de l’ordre social, de l’ordre matériel même ?... Qui donc défend l’ordre et la propriété dans nos campagnes ? Est-ce l’instituteur ? […] Qui donc défend l’ordre, sans s’en rendre compte souvent à soi-même, mais instinctivement et avec une force et une persévérance admirables ? Il faut bien le dire, c’est le curé (Rires ironiques à gauche.)
Discours de Montalembert à l’Assemblée législative au cours du débat sur la liberté de l'enseignement.
Le 17 janvier 1850, lors du vote sur la Loi Falloux (Le Moniteur Universel du 19 janvier ? )
Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale législative
tome 5, du 16 janvier au 20 février 1850, typographie Panckoucke 1850
via Google Books ; http://bit.ly/2KdrRwz
- Le sujet a été aussi abordé en septembre 1848 :
Discours de M. de Montalembert,... sur la liberté d'enseignement, dans la discussion de l'article 8 du projet de constitution : séances des 18 et 20 septembre 1848 - http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83074w
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