1956 : la gémination qui divise
1956 : la gémination qui divise la commune...
A Bourguenolles, une petite commune du sud Manche, le passage à la mixité scolaire n'a pas été le long fleuve tranquille évoqué récemment par Antoine Prost.
Demain, il sera trop tard. 8 filles et 9 garçons viennent en classe (sur 62) - Ouest-France 06.12.1956
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En 1956, la commune inaugure un nouveau groupe scolaire.
http://www.bourguenolles.info/page33/page92/page92.html
La même année, un couple de jeunes instituteurs arrive. Il décide d’installer à la rentrée d'octobre la mixité, garçons et filles en rang séparés, comme dans la commune de Maupertuis où il enseignait auparavant (photo du couple et de ses quatre filles, sans doute vers 1961). http://clioweb.free.fr/dossiers/normand/bourg/bo-laroche.jpg
La veille de la rentrée, le dimanche 30 septembre, le conseil municipal vote massivement contre cette décision.
Le maire va par la suite à la préfecture pour exiger l’application de ce vote.
L’impulsion vient très probablement du curé, une correspondance privée et plusieurs témoignages en attestent. Pour lui, il est impensable qu'un homme puisse enseigner à de grandes filles (mais le catéchisme semble faire exception !).
http://clioweb.free.fr/dossiers/normand/bourg/cm-300956.jpg
Les parents ont été habitués à la gémination au temps de la classe unique (ou de la double classe, avec des institutrices femmes) depuis la loi de 1933 : cf la photo d'une classe géminée vers 1948, avec le fils du maire entre deux filles.
Les parents soutiennent les enseignants, se mobilisent très vigoureusement.
Une Amicale des parents d’élèves est constituée en décembre 1956, avec le soutien de Georges Fatome, le maire de Tourlaville. 45 enfants (sur 62) cessent de fréquenter l’école, avant d'être accueillis dans les écoles des communes voisines.
Mme Trochon, Vital Rémande, G. Fatome
Fin janvier 1957, les parents obtiennent gain de cause, le ministère confirme la mixité de l’école.
http://clioweb.free.fr/dossiers/normand/bourg/bo-280157.jpg
Un article très détaillé de Victor Normant dans Ouest-France (06.12.1956) décrit longuement cette nouvelle guerre scolaire. Avec des observations intéressantes, qui rappellent les débats autour de la loi de 1933 : les besoins des tout-petits, c’est un travail de mère de famille… une femme peut manquer d'autorité face à de grands gaillards.
http://clioweb.free.fr/dossiers/normand/bourg/ouest-06121956.jpg
Deux lettres privées traduisent le poids des tempéraments.
Le curé qui a provoqué la crise montre son intransigeance. Son parcours personnel l'explique peut-être : il est né en 1880, il devient prêtre en 1904 (!), et toute la population défile en 1954 pour célébrer ses cinquante années de prêtrise. Il a pu espérer être suivi par toute la population dans son combat contre une école de la République.
L'autre curé a connu le couple d'instituteurs dans la commune où ils étaient en poste.
Il écrit: « je n’ai jamais eu à me plaindre de cette gémination, où filles et garçons étaient sur des bancs différents, les cours de récréation séparées… ». Il vante le sérieux du couple ét ajoute « l'instituteur sera très regretté, par moi en particulier, car le niveau intellectuel des enfants avait monté depuis son arrivée, ce qui a facilité beaucoup le catéchisme ».
Les élections municipales de 1959 voient la déroute du maire et de l'ancien conseil.
Le nouveau maire reste en place pendant trente ans.
Mais la crise a laissé dans la commune des inimitiés tenaces.
2014 : Bourguenolles (école maternelle) est associée avec La Lande d'Airou (école primaire)
NB : 3 observations :
- Les militants de la mémoire voudraient parfois bousculer l'histoire et les historiens de métier. Pourtant, plus de 50 ans après, les souvenirs sont souvent très fragiles et les dates incertaines, du moins quand un texte écrit ne vient pas les confirmer.
- L'accès aux archives de la presse est contrasté. Avant 1944, Gallica a accompli un énorme travail de numérisation et d'indexation. Pour les années 1950, cette indexation fait défaut. Il faut donc consulter les exemplaires un à un aux archives départementales ou parcourir les microfilms.
- L'Education ne brille pas toujours pour l'état et la conservation de ses archives.
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