12 avril 2011
Le Japon quatre fois frappé
Le Japon quatre fois frappé, un article du géographe Philippe Pelletier pour Echo-Géo *, 1/04/2011
http://echogeo.revues.org/12327
Sommaire :
Le centre a tremblé, la province a encaissé
Le Sanriku et sa mémoire du risque
Le problème du chiffrage des victimes
Le petit nipponisme ne connaît pas la crise
Yes future
Extraits :
Aux trois catastrophes subies par le Japon (séisme, tsunami, accident nucléaire), Philippe Pelletier en ajoute une quatrième, celle du regard des médias occidentaux.
« Il faut bien avouer que la géographie a été singulièrement malmenée dans le traitement effectué non seulement par les médias mais aussi par certains experts. Car les analyses sur les événements sismiques ont été déspatialisés en deçà d’une certaine échelle. La géographie a été ignorée, oubliée, bafouée même ».
dès l'annonce du « gigantesque séisme du Tôhoku »…tout le monde s’est inquiété du sort de Tôkyô…les gratte-ciels y ont tangué, le parking de Tokyo Disneyland a été inondé ... les témoignages sensationnalistes et inutiles d’étrangers présents à Tôkyô ont afflué sur les ondes… ». Mais il a fallu attendre presque 48 h pour que « les médias français balbutient tout juste les noms de Sendai (un million d’habitants, une ville grande comme Lyon ou Marseille, pourtant) et de Miyagi (son département) ».
Pourtant, « dès vendredi, quelques heures après la principale secousse, un simple clic sur la Toile permettait déjà d’en savoir beaucoup. Deux options étaient même possibles. D’une part consulter Google Earth pour vérifier le décalage entre les images présentées par les médias, abusivement généralisées, et l’organisation spatiale de l’aire urbaine de Sendai. D’autre part consulter des sites japonais, ce qui suppose évidemment de connaître la langue japonaise et donc d’avoir fait l’effort de l’apprendre… »
« La socioculture de la « coexistence » (kyôson) entre le risque naturel et l’habitant est caractéristique du Japon », écrit Philippe Pelletier qui décrit les infrastructures construites par « l’Etat-BTP » et l'entretien de la mémoire du tsunami dans le Sanriku. Selon lui, « l’alerte a été correctement donnée (par sirènes et hauts parleurs), mais les médias ne l'ont guère relevé ». C'est la réactivité des populations côtières qui explique le relativement faible nombre de morts rapporté au nombre d’habitants et à l’ampleur du tsunami.
« Autrement dit, les Japonais, bien organisés, ont fait face autant que possible au tsunami. Mais de ce fonctionnement collectif, prévoyant et bien organisé, limitant autant que faire se peut les dégâts (les infrastructures routières ont tenu), nous n’en avons quasiment rien su pendant trois à quatre jours ».
Le nucléaire, un secteur très juteux où l'opacité règne depuis longtemps, a été aussi malmené par les médias. Ils ont été discrets sur le fait que « la centrale de Fukushima, déjà en ligne de mire, aurait dû être fermée il y a un an ». « L'option nucléaire dans un pays à risque sismique très élevé, et dans des régions encore plus risquées, relève d'une irresponsabilité totale ».
« La question environnementale - évidemment sérieuse - masque également une dimension sociale et une dimension géopolitique. Les médias parlent beaucoup de Tepco, l’entreprise qui a construit les centrales nucléaires de Fukushima, et de ses techniciens. Ils négligent de dire que, conformément à une pratique déjà bien instaurée au Japon, les « liquidateurs » envoyés au cœur des réacteurs sont en quasi-totalité des sous-traitants, généralement des travailleurs journaliers recrutés sur le marché ad hoc de San'ya à Tôkyô. Cette utilisation du sous-prolétariat permet non seulement de faire des économies en termes de statut (pas de contrats à durée indéterminée, pas de retraites, pas d’assurances ni d’indemnisations), mais aussi de perdre la trace des contaminés, ce qui a déjà, lors des incidents nucléaires précédents, contribué à fausser gravement le bilan des dégâts. Mais cette dimension de « lutte des classes » n’est pas dans l’air écologique du temps. Quant à la dimension géopolitique, il faut souligner que la centrale a été construite en 1971 par l’entreprise américaine General Electric tandis que le troisième réacteur fonctionne avec un mélange d’uranium et de plutonium, le Mox, vendu par l’entreprise française Areva. Ce type de décisions, d’achat et de vente, est pris au plus haut sommet, et en fonction de paramètres politiques et internationaux parfois éloignés de la seule question énergétique ».
« Décidément, le Japon n’a pas de chance. Il ne fait parler de lui dans les médias que pour des catastrophes, rarement pour autre chose ». Dans cette vision quasi xénophobe, les Japonais seraient décidément des êtres à part, passifs, mal organisés et assez fous pour vivre sur une telle terre.
Pour Philippe Pelletier, « le regard occidental est préoccupant. On pouvait en effet penser qu’à l’heure de l’information rapide et généralisée, dans un monde et à une époque où les livres scientifiques sur le Japon sont de plus en plus nombreux, à propos d’un pays qui est désormais facilement accessible et ouvert … un certain nombre d’idées reçues, d’approximations et de stupidités aurait été éliminé… Il n’en est donc rien. Cette non réception, ou bien cette mauvaise lecture (une mauvais écriture, alors ?) appelle à une modestie, dût-elle en souffrir, chez les chercheurs japonisants, et à une interrogation sur le pourquoi du comment ».
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Japon: le regard tordu des Occidentaux
Japon: le regard tordu des Occidentaux
Une préversion de l'article semble avoir été publiée sous forme de tribune le 13 mars, par http://www.cyberpresse.ca
Le titre canadien n'en tire aucune leçon, mais pose un tag vers « accident de la route » et titre sur « les dernières heures d'un prêtre québécois au Japon » !! http://www.cyberpresse.ca/opinions/
Le titre canadien n'en tire aucune leçon, mais pose un tag vers « accident de la route » et titre sur « les dernières heures d'un prêtre québécois au Japon » !! http://www.cyberpresse.ca/opinions/
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Les médias se sont acculturés
Un autre géographe constate également l’absence de « vision spatiale d’ensemble ». Mais selon lui, les médias ont beaucoup écrit sur le Japon, souvent au-delà des catastrophes ; les journalistes se sont acculturés au contact des spécialistes du pays, de ses habitants et de sa culture.
Les angles d’analyse ont évolué au fil des jours ; ne faudrait-il pas compléter l’article en prenant en compte cette évolution ?
Les angles d’analyse ont évolué au fil des jours ; ne faudrait-il pas compléter l’article en prenant en compte cette évolution ?
Que donnerait une étude de la couverture des trois catastrophes par les médias japonais ?
* EchoGéo : Notre vocation est de produire une information pertinente et documentée sur des pays et des thèmes qui, soit ne sont pas pris en compte par les médias, soit le sont de façon évasive et superficielle.
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