Ida Grinspan
Journée nationale du souvenir 2010 (suite) :
Une mairie censure la lettre d'une ancienne déportée -
L'article de l'AFP est reproduit dans toute la presse.
La version reproduite dans Le Monde société 28/04/2010 (source CVUH) :
« La mairie de Parthenay a censuré une lettre écrite par Ida Grinspan,
ancienne déportée, qui devait être lue à des élèves le 29 avril dans le
cadre de la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la
déportation, selon le Courrier de l'Ouest de mercredi.
Nathalie Lanzi, professeure
d'histoire-géographie au collège de la Couldre (Deux-Sèvres), qui
accompagne depuis cinq ans ses élèves "volontaires et enthousiastes"
aux cérémonies commémoratives et patriotiques, avait demandé à
l'ancienne déportée d'Auschwitz de rédiger un texte que les élèves
devaient lire dimanche, a-t-elle raconté au quotidien. Mais ce
témoignage a heurté Michel Birault, ancien gendarme et adjoint chargé
des affaires patriotiques. Ida Grinspan y évoque son arrestation par
trois gendarmes alors qu'elle avait 14 ans. La professeure a accepté, à
contrecœur, de remplacer le mot "gendarmes" par "hommes".
"UNE FORME DE CENSURE"
M.
Birault a présenté ensuite le texte au maire, Xavier Argenton (Nouveau
Centre) qui, lui, a refusé sa lecture. "Ne stigmatisons pas une
catégorie professionnelle qui, dans ces temps troubles, avait obéi aux
ordres de l'autorité légitime", a-t-il dit à son adjoint. Ce texte
"n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le
repentir est malheureusement mis en exergue", a-t-il ajouté.
"Mes
élèves ne participeront plus au devoir de mémoire et aux cérémonies
commémoratives. Je renonce à souscrire à ce que j'appelle une forme de
censure, a indiqué au quotidien Mme Lanzi, également conseillère
régionale socialiste. Mon objectif n'était pas de blesser, mais de dire
l'histoire. Je suis attachée au devoir de mémoire et au souci de
vérité", a-t-elle conclu Nathalie Lanzi.
Pour Ida Grinspan, "c'est
terrible, cette mentalité-là". "Il faut savoir regarder la vérité en
face. Ce que je dis dans ce texte, je le dis chaque fois que
j'interviens dans une école. Je dis simplement ce qui a été",
déclare-t-elle.
"C'est une forme de révisionnisme"
Interview par Céline Lussato (Nouvel Obs)
.
- " Le maire de Parthenay reconnaît une "maladresse"" ( La Nouvelle République 29/04/2010)
.
Ida raconte son arrestation à Jeune-Lié (près de Melle)
dans la nuit du 30 au 31 janvier 1944 par trois gendarmes français et
les démarches vaines de sa nourrice pour la faire libérer. (source : le DVD "Aide aux juifs persécutés" réalisé par le Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah).
Le récit en version audio - mp3 (4 mn, 3 Mo)
Transcription de son récit :
«
Un dimanche soir, à minuit passé, 3 gendarmes arrivent où j'habite et
disent à ma nourrice : « on vient arrêter la petite juive qui vit chez
vous ». Tel quel. Aussi longtemps qu'elle a vécu, ma nourrice m'a
raconté ce dialogue que je connais par cœur. Alors elle répond, « mais
ce n'est pas possible, vous n'allez tout même pas arrêter cette gamine
! ». J'ai à ce moment-là 14 ans et 2 mois. Alors le brigadier lui
répond sèchement : « nous on a des ordres, si on la trouve pas, on
prend votre mari ».
Elle vient dans ma chambre ; j'ai entendu du
bruit, je ne sais pas exactement ce qui se passe, j'ai un peu peur que
ce soit cela mais je n'ai pas de certitude. Elle arrive dans ma
chambre, elle vient m'expliquer, elle me dit : « les gendarmes sont là,
ils viennent t'arrêter, et ils ont dit que si on te trouvait pas, on
emmenait Paul ». Alors le temps d'un éclair, j'ai réalisé que nous
sommes au rez-de-chaussée, je peux passer par la porte fenêtre, je peux
me sauver, à l'insu des gendarmes, je peux aller chez n'importe quel
voisin, ils m'ouvriront parce qu'ils m'aiment bien, mais quand elle me
dit qu'on menace d'emmener son mari, je ne peux pas envisager de partir
et de faire arrêter son mari à ma place.
Elle ne s'en tient pas
là. C'est elle qui va réveiller les voisins. Parmi les proches voisins,
il y a l'adjoint au maire. Il arrive, il commence à discuter avec les
gendarmes, il essaie de les convaincre de dire qu'on ne m'a pas
trouvée. Ce n'est pas pour rien que le capitaine a envoyé trois
gendarmes : chacun a peur des deux autres. Ils n'ont rien voulu
savoir, ils m'ont embarquée. Ces mêmes gendarmes m'ont emmenée dans un
dépôt à Niort où on avait regroupé des juifs de tous âges. D'après les
archives, on sait qu'on était 58. On nous a fait dormir dans un grand
dépôt, sur des lits de camp.
Le lendemain après-midi, ma
nourrice est arrivée. Un gendarme qui gardait le dépôt l'a laissée
passer. Ma nourrice pleurait encore. Elle m'a raconté ce qui s'était
passé : dès le matin, elle est allée voir le curé du village, elle lui
a raconté mon arrestation. Sans hésitation le curé lui a fait un faux
certificat de baptême.
Avec ce faux certificat, elle est allée à
la Kommandantur de Niort. Elle a été reçue par le chef. Elle lui a
expliqué qu'elle hébergeait une petite d'origine juive qui maintenant
était convertie, qu'elle avait été arrêtée probablement par erreur. Le
chef l'a écoutée, il ne l'a pas interrompue. Et puis, il lui a dit,
avec un sourire narquois : « Ah oui, d'accord Madame, mais par qui
a-t-elle été arrêtée ? » Elle a bien été obligée de dire que c'était
par la gendarmerie française. Alors il s'est moqué franchement d'elle :
« mais Madame, vous comprendrez très bien que si c'est la gendarmerie
française qui l'a arrêtée, je ne puisse pas intervenir » ».
.
Le texte d’Ida, censuré par la Mairie de Parthenay,
publié par Le Nouvel Observateur 28/04/2010
« J’ai été, par précaution, envoyée dans les Deux Sèvres alors que j’avais 10 ans, par mes parents inquiets et soucieux que je grandisse loin de la capitale ».
« Je suis donc arrivée dans une famille, chez ma nourrice Alice et son mari Paul et auprès de Madame Picard, ma maîtresse d’école à qui je dois ce que je sais ; je pars non pas pour me cacher mais me réfugier ! J’ai été très bien accueillie et je suis allée à l’école communale, j’ai passé mon certificat d’étude : j’étais heureuse, même si je m’inquiétais pour mes parents restés à Paris ; maman malheureusement a fait partie de la rafle du Vel' D’Hiv en juillet 1942 ; je vivais sans racisme, sans antisémitisme de la part des voisins, de mes amies de classe et des habitants du village ! J’étais la petite juive, voilà tout ».
« Une armée victorieuse, mais en passe d’être vaincue, et qui ne trouve rien de plus urgent que d’intimer l’ordre à ses vaincus d’aller dénicher une petite juive des Deux Sèvres pour l’expédier dans l’enfer d’Auschwitz ! La patrie des Arts menant une guerre à mort contre une enfant parmi des milliers d’autres pour le seul crime d’être née !... ».
« J’ai été arrêtée le 31 janvier 1944 par 3 gendarmes, l’inhumanité même, de ces 3 hommes, le chiffre 3 , chiffre impair qui montre bien la détermination d'être solidaires de ne pas se laisser influencer face à la jeunesse, face aux suppliques de ma nourrice, des demandes insistantes du maire de la commune pour ne pas m’emmener moi, si jeune, si innocente, qui avait la malchance d’être née juive ! Alors que les armées alliées sont en train de délivrer l’Europe des Allemands, 3 gendarmes français, ont obéi aux ordres de m’emmener à Niort pour connaître le pire : d’abord le camp de Drancy, puis l’enfer d’un voyage de 3 jours dans un wagon à bestiaux, plombé, avec des hommes, des femmes et des enfants pour arriver aux camps de la mort : c’était ça la Déportation. C’était un voyage terrible, où l’on devait apprendre à vivre ensembles, à faire ses besoins dans une tinette qui a débordé au bout de quelques jours, de vivre dans la saleté, le manque d’air ! ».
« On se disait que le pire était derrière nous mais il était devant nous : quand le wagon s’est ouvert un comité d’accueil allemand avec chiens et hurlements nous attendaient pour la « sélection ». Je me souviendrai toute ma vie de ces hommes et femmes, enfants, vieillards qui sont partis dans des camions, pour les chambres à gaz ; moi, j’ai eu la chance si l’on peut dire, d’entrer dans le camp pour y travailler avec tout ce que l’on sait de la vie quotidienne dans les camps : nous étions des numéros, et non plus des êtres humains ; la déportation c’est aussi un programme de déshumanisation organisée par le régime nazi ».
« La barbarie s était glissée, cette nuit d’hiver, dans un hameau que tout destinait au sommeil heureux des lieux oubliés par l’Histoire ; Oui j’ai donc connu jusqu’à mes 14 ans une vie loin des fracas de la guerre, des privations de nourriture, des rafles, de l’ostracisme du gouvernement de Vichy et derrière tout cela le totalitarisme nazi organisait l’éradication du peuple juif ».
Ida Grinspan.
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Ida est arrêtée par trois gendarmes dans le Poitou à Jeune-Lié près de Melle. Elle a 14 ans.
Une page sur le site du Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah
Avoir 14 ans à Auschwitz
Collège Gauguin Nantes 44 - Plusieurs séquences vidéo sur Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=e2QQxTOu7NE
http://www.youtube.com/watch?v=3gt6VVr3Z28
http://www.youtube.com/watch?v=-95s66r250g
- Interview 10 déc 2006 :
http://www.youtube.com/watch?v=2R-bPat5c6g
« J'ai pas pleuré ». Ida Grinspan témoigne en vidéo pour Le Monde, le 25/07/2005 (Shoah : Les derniers témoins racontent). Le récit de l'arrestation est dans la 3e partie.
Elle a publié, avec Bertrand Poirot-Delpech, « J'ai pas pleuré » (ed. Robert Laffont) - Enfances saccagées - Le Monde 2005
Lecture par Charline Fouché, une élève de Muriel Lucot
http://muriel.lucot.free.fr/spip.php?article964&lang=fr
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- Lettre au Maire de Parthenay. JF Launay dans Le Post 209/04/2010 et sur le blog deblog-notes
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- « Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police... ».
« La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ». Jacques Chirac, discours du 16 juillet 1995, prononcé lors des commémorations de la Rafle du Vel'd'Hiv' (16 juillet 1942).
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Cet incident n'est pas sans rappeler une démarche de 1956 pour faire censurer l'image du gendarme dans Nuit et Brouillard, le chef d'oeuvre
d'Alain Resnais :
Commentaire de Nathalie LANZI BUCERO
réaction
bonjour,
Je suis la fameuse professeure qui a
osé demandé à un comité de censure ! de relire le texte pour le 25
avril dernier. Je me bats depuis des années avec cette mairie pour
imposer avec mes collègues la lectude de textes et donc ce n'est pas anodin. Le
maire a voulu en faire une affaire politique. Moi je reste
professeure d'histoire attachée au travail de vérité.
Merci aux
collègues de leur soutien et continuons le combat.
Merci à la presse
locale d'avoir relevé cet événement, alors que je m'étais tue, d'avoir
relevé que cette fois-ci j'étais absente de la cérémonie ! La liberté
d'expression, disons le a un sens .
Une mairie censure la lettre d'une ancienne déportée
version html : http://clioweb.free.fr/camps/ida/ida.htm
- 4 mai 2010 : APHG - Contre la censure et l’occultation des faits historiques
http://www.aphg.fr/Actualités.htm
Paris, le 4 mai 2010
L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) s’élève vivement contre la censure exercée contre un texte d’Ida Grinspan*, ancienne déportée d’Auschwitz et contre les propos tenus par un leader politique à propos du rôle de Vichy envers les juifs.
Un texte d’Ida Grinspan devait être lu par les élèves d’un professeur d’Histoire et de Géographie, Nicole Lanzi** lors de la journée du souvenir de la Déportation le 25 avril 2010 à Parthenay. Dans ce témoignage. Ida Grinspan évoquait les circonstances de son arrestation par trois gendarmes. à Jeune-Lié ( près de Melle) dans la nuit du 30 au 31 janvier1944. Elle était âgée de 14 ans. L’adjoint au maire, ancien gendarme et adjoint, chargé des affaires patriotiques de la municipalité de Parthenay a été choqué par ce témoignage et a demandé au professeur de remplacer le mot gendarmes par hommes ! ll a ensuite présenté ce texte au maire de Parthenay qui a refusé que ce texte soit lu.
Nous avons déjà exprimé toute notre solidarité et profonde sympathie à Ida Grispan et notre soutien à notre collègue Nicolas Lanzi.
D’autre part un leader politique a prétendu dans une émission que le gouvernement du Maréchal Pétain avait sauvé la majeure partie des juifs en France. C’est nier les deux statuts des juifs (octobre 1940 et juin 1941) qui les ont exclus de la vie politique, économique, sociale et culturelle et qui les ont spoliés de leurs biens ; c’est occulter les arrestations de juifs notamment lors de la rafle du Vel d’Hiv et la complicité de Vichy dans leur déportation vers les camps de la mort.
L’APHG rappelle l’importance de l’enseignement de l’Histoire, en particulier de la Seconde Guerre mondiale, de la France sous l‘occupation, de l’Etat français et de la Résistance Cet enseignement essentiel dans la formation des jeunes est confié à des professeurs qui ont suivi des études universitaires et ont passé des concours de recrutement de haute valeur scientifique. C’est une mission de service public que d’enseigner ces pages des années noires et aussi glorieuses de notre pays. L’APHG condamne toute forme d’intimidation ou de censure ou d’occultation de notre enseignement et toute volonté de réviser faussement l’histoire.
*Ida Grinspan a été envoyée dans un petit village des Deux Sèvres alors qu’elle avait 10 ans par ses parents inquiets de la situation en 1940. Elle a été accueillie chez une nourrice Alice et à l’école primaire de Sompt qui aujourd’hui porte son nom par son institutrice Madame Picard. Elle a raconté son arrestation et sa déportation dans son livre « J’ai pas pleuré », paru chez Robert Laffont, co-écrit avec Bertrand Poirot Delpech de France. C’est un témoin infatigable qui sillonne la France pour raconter sa déportation dans les collèges et les lycées « Il faut savoir regarder la vérité en face » a déclaré Ida Grinspan dans une interview. « Ce que je dis dans ce texte, je le dis chaque fois que j’interviens dans une école, je dis simplement ce qui a été ».
** Nicole Lanzi enseignante au collège de La Couldre ( Deux Sèvres )qui depuis cinq ans accompagne ses élèves volontaires aux cérémonies commémoratives.
Le secrétariat général de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie